Une affaire personnelle

Une vieille auto-radio, dont le son grésillant était descendu au minimum, diffusait des variétés sans intérêts. Assise sur une chaise basculée en arrière, et adossée contre le mur du commissariat, dont la peinture écaillée aurait bien eu besoin d’un coup de neuf – voilà ce que je me dis presque tous les jours depuis plus d’un an -, je tirais une dernière latte de ma cigarette, aspirant sans plaisir la bouffée de fumée qui m’emplissait les poumons, et laissant la légère torpeur du tabac se diffuser dans mon cerveau, et relâcher mes muscles.  Je reprenais depuis peu cette mauvaise habitude, qui m’avait pourtant quittée depuis quelques années, et je voyais un regard empli de reproche face à moi. Vi n’aime pas que je fume. Vi n’aime surtout pas que je fume à l’intérieur, et que les locaux empestent la clope froide.

" Si ça te dérange, tu n’as qu’à venir me l’éteindre toi-même, Fat’Hands " lançais-je avec défiance.

Une provocation gratuite, pour en rajouter une couche. Elle avait horreur de ce surnom que cette folle de criminelle s’amusait à lui donner. Cette Jinx, qu’on chassait ensemble, toutes les deux, depuis plusieurs années maintenant, sans pour autant parvenir à mettre la main sur elle.
Elle était restée notre priorité numéro un pendant bien longtemps. Encore une chose qui avait changé récemment, et je savais que cette traque devait te manquer.

" Un de ces jours, on la débusquera ensemble, Vi, je te le promets. "

J’écrasais le mégot dans le cendrier, répandant une poignée de cendre. En temps normal, tu ne m’aurais jamais laissé la terminer jusqu’au bout. Des reproches d’avoir pris le temps, quelques minutes, pour me poser, fermer les yeux, et tenter de me détendre ? Tu avais peut-être raison de m’en faire, mais c’était la première pause que je m’accordais aujourd’hui, après une journée entière de travail sans relâche. Mais cette traque était plus importante que toutes celles auxquelles j’avais pu me livrer auparavant. Bien sûr, j’accordais beaucoup d’importance à trouver la gâchette folle. Je m’étais fait un bon nombre de cheveux blancs à tenter de résoudre en vain l’affaire du mystérieux « C ». Mais celle-ci était différente. L’enjeu était différent. Il était personnel.

Sous le poids de ton regard lourd de reproches, je laissai un soupir non dissimulé s’echapper de mes lèvres, et je me redressai pour éteindre l’auto-radio, pour reprendre le travail, m’en voulant déjà de l’avoir cessé. Depuis les années que tu travailles avec moi ici, mon train de vie a changé, et je commençais à peine à m’en apercevoir.

Alors pourquoi suis-je en train de reprendre mes vieilles habitudes ? Je sentais ma gorge se nouer, tandis que l’image fictive que je me faisais de toi, assise de travers, les jambes sur les accoudoirs, dans ce fauteuil ébréché, abimé, au rembourrage apparent, s’estompait.

Pourquoi n’es-tu plus ici pour m’en dissuader ?